La messe de la Nuit, à Minuit!

Après les douze coups de Minuit, la célébration de Noël débute avec ce chant magnifique: « Il est né le divin enfant, chantons tous son avènement ». « C’est pour tout homme qu’Il est la vraie lumière ».

Le Père Guillaume Charbonneau OMV préside avec minutie cette célébration de la Nuit ou la Lumière brille dans les ténèbres, et nous invite à porter le monde dans notre prière contemplative de l’Enfant-Dieu.

C’est au « Gloria » que toutes les lumières de la chapelle s’allumeront et que les cloches se feront entendre et sonneront l’incommensurable avènement de l’Incarnation du Fils de Dieu au milieu de nous.

Loin d’être un fait folklorique, c’est d’abord et avant tout un fait historique que confirment les prophéties de l’Ancien Testament en le situant dans la perspective d’une Promesses faite par Dieu (Yahvé): Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi. Oui, un enfant nous est né, un fils nous a été donné ! (Isaie 9, 1; 5). Ainsi l’Enfant Jésus ne se trouve pas que dans une mangeoire comme il y a deux mille ans mais, liturgiquement, Il se trouve également dans notre coeur, dans l’attente, cette fois, de son retour définifif parmi nous à la Parousie.

Dans un entretien avec Jean-Christian Petitfils, écrivain et historien, réalisé par Manuella Affejee, de Vatican News, tous deux s’interrogent sur les données historiques dont nous disposons sur l’événement de Béthléem.

En voici l’intégralité:

Depuis l’instauration de la Nativité le 25 décembre, jour de la fête païenne du Sol invictus, l’on débat âprement de la date précise de la naissance de Jésus. Est-on parvenu à la déterminer ?

Une chose est sûre, Jésus n’est pas né le 25 décembre de l’an I, comme le veut la tradition. Ce n’est qu’au IVe siècle que le pape Libère (352-366) instaura la solennité de la Nativité, afin de christianiser la fête du solstice d’hiver, le Sol Invictus. Selon les évangiles de saint Matthieu et de saint Luc, Jésus serait né au temps du roi Hérode. Or, celui-ci est mort en l’an 4 (ou 2) avant notre ère. C’est par suite d’une erreur de calcul d’un moine du 6e siècle, Denys le Petit, que la date de l’an I a été arrêtée.

Peut-on affirmer avec certitude que l’actuelle basilique de la Nativité, l’un des édifices chrétiens les plus anciens au monde, repose sur le lieu de naissance du Christ ?

Saint Justin, Palestinien de Naplouse, est le premier, vers l’an 160, à parler d’une grotte vénérée proche du village de Bethléem que l’empereur Hadrien avait profanée quelques années auparavant: «Comme Joseph n’avait pas où loger dans le village, écrit-il, il s’installa dans une grotte voisine de Bethléem, et c’est pendant qu’ils étaient là que Marie enfanta le Christ et le plaça dans une mangeoire». L’archéologie a confirmé très exactement ces données: c’est bien sous l’actuelle basilique de la Nativité que Jésus est né.

«Or il advint en ces jours-là que parut un édit de l’empereur César Auguste, ordonnant le recensement de tout le monde habité», raconte l’Évangile de Luc. Ce recensement est-il historiquement avéré ?

Le recensement de Quirinius, gouverneur de Syrie, évoqué par Luc pour justifier le déplacement de Marie enceinte de Nazareth à Bethléem, pose quelques difficultés chronologiques, car cette opération à caractère fiscal ne date que de l’an 6 de notre ère. Pour un certain nombre d’historiens, il s’agirait plutôt d’un recensement antérieur, commencé en 8 avant notre ère et qui dura deux ou trois ans. Notons que ce n’était certainement pas un édit impérial visant «toute la terre», comme l’écrit Luc avec emphase.

Le même évangéliste, parlant des parents de Jésus, affirme qu’ils appartiennent à «la lignée de David». Que sait-on sur cette ascendance royale ? Qu’implique-t-elle ?

Jésus appartenait à un petit clan juif, les Nazaréniens (ou Nazôréens), revenus d’exil au second siècle avant notre ère, qui prétendaient descendre du roi David. Ces gens, qui attendaient la naissance en leur sein d’un messie, comme l’avait prophétisé Isaïe («Un rejeton sortira de la souche de Jessé… »), avaient fondé en Basse-Galilée un village appeléNazara (Nazareth), de netzer le «surgeon» (autrement dit le «rejeton» de Jessé, père de David). Mais bien des Juifs pieux doutaient : «De Nazareth peut-il sortir quelque chose de bon ?» (Jean 1, 46). D’après les dernières recherches archéologiques, Nazareth au premier siècle était un assez gros village d’un millier d’habitants, éloigné des grands axes de circulation.

Joseph, père adoptif de Jésus, n’était ni un paysan, ni un ouvrier du bâtiment, comme certains l’ont dit, mais un artisan, un technicien du bois (tektôn en grec), ce qui le situait dans une catégorie sociale un peu plus élevée. Il est très possible qu’il ait été considéré comme l’héritier du clan davidique, d’où devait naître le Messie. Une des grandes difficultés de Jésus, au cours de son ministère public, sera précisément de lutter contre son identification à un messie politique et guerrier dont tout le monde rêvait pour chasser les Romains.

Quant à Marie (Myriam en hébreu ou en araméen), elle appartenait très probablement au même clan davidique que Joseph. Ses parents, nommés Anne et Joachim selon le Protévangile de Jacques (un apocryphe chrétien du IIe siècle), semblent avoir habité Sepphoris, la ville la plus proche de Nazareth. Les mariages étaient arrangés entre familles et il était presque impossible de déroger à ces habitudes contraignantes. Comme l’écrivait au IIe siècle Hégésippe, juif converti qui a recueilli de précieux détails sur la famille de Jésus, «Marie paraît être de la même tribu que Joseph car, selon la loi de Moïse, il n’était pas permis de se marier dans d’autres tribus que la sienne». Ce n’était pas une simple fille d’Israël. Descendante de David, nourrie de l’Écriture sainte depuis sa tendre enfance, elle connaissait la promesse faite à son royal ancêtre par l’intermédiaire du prophète Nathan : «Ta maison et ta royauté dureront à jamais devant moi». D’où le fiat de Marie à l’annonce de l’ange. Le Seigneur, chante-t-elle dans le Magnificat, s’est souvenu «de sa miséricorde, selon qu’il l’avait annoncée à nos pères, en faveur d’Abraham et de sa postérité à jamais».

L’historien, naturellement, ne saurait se prononcer sur ce qu’on appelle la naissance virginale de Jésus, affirmée dans le Nouveau Testament, le Symbole des apôtres et le Credo de Nicée-Constantinople. Le fait est que cette donnée, plus gênante que valorisante, a embarrassé les premiers disciples du Christ comme pouvant laisser croire à une naissance illégitime de leur maître. Durant sa vie, les adversaires de Jésus ne se privèrent pas de l’accuser d’être «né de la fornication». Longtemps on a pensé que, dans la tradition juive, la virginité d’une femme était perçue de façon négative («Croissez et multipliez… », dit la Bible), jusqu’à la découverte en 1967 par un archéologue israélien, Yigael Yadin, d’un texte provenant des manuscrits de la mer Morte, dans lequel il est question de vierges consacrées et de vœu de virginité perpétuelle à l’intérieur même du mariage : si une jeune fille «se lie elle-même dans la maison de son père par un tel serment», le mari peut la désavouer et la relever de son engagement. Elle en sera alors tenue quitte. S’il se tait, cet engagement demeurera toujours valable. Est-ce la situation à laquelle fut confronté Joseph, l’époux de Marie, qui, nous dit l’Évangile de Matthieu, avait résolu de la répudier en secret ?

Apprenant la naissance du « roi des Juifs » à Bethléem en Judée, le roi Hérode décide de faire périr tous les nouveau-nés de cette localité. Le «massacre des Innocents» a contribué à entretenir la légende noire du roi Hérode. Sait-on si ce massacre a effectivement eu lieu ? D’autres sources le mentionnent-elles ?

Hérode le Grand, roi de Judée sous le règne duquel naquit Jésus, n’était pas seulement le plus prodigieux bâtisseur de l’Antiquité, dont le génie architectural, à la mesure de sa folie des grandeurs, a transformé les paysages d’Israël, mais un tyran cruel rêvant de se faire reconnaître par le peuple juif comme le Messie. L’épisode du massacre des Innocents, une dizaine ou douzaines d’enfants de Bethléem, n’est pas attesté par des documents historiques mais il est fort possible qu’il se soit réellement produit vu la psychopathie paranoïaque du personnage qui fit décapiter notamment l’une de ses femmes, son frère, sa belle-mère, deux de ses propres fils et nombre de ses officiers.

Que sait-on de ces mages venus d’Orient ? L’étoile qu’ils auraient suivie n’est-elle qu’un détail inventé pour enjoliver le récit ou bien s’agit-il d’un phénomène astronomique crédible dont d’autres sources auraient gardé la trace? 

Un texte seulement dans le Nouveau Testament parle de la venue des mages, l’Évangile selon saint Matthieu. À noter toutefois que le Talmud de Babylone, qui date des environs du VIe siècle mais regroupe des traditions très anciennes, évoque l’arrivée dans les derniers temps du règne d’Hérode de «gentils» qui se seraient rendus à Jérusalem afin de voir se lever l’étoile de Jacob.

Tertullien, un auteur chrétien du début du IIIe siècle – s’inspirant du psaume 72 parlant des «rois de Tarcis et des îles» et des «rois de Séba et de Saba» venus apporter des offrandes au Messie –, en fit des rois, originaires symboliquement des trois continents connus, l’Europe, l’Asie et l’Afrique. C’est seulement dans un texte du VIe ou VIIe siècle, Les extraits latins d’un Barbare « Excerpta Latina Barbari », qu’il est question de Melchior, Gaspard et Balthazar.

L’histoire des mages en fait est liée à celle de l’étoile. Plusieurs hypothèses ont été émises à ce sujet. Il a été question de la comète de Halley ou d’une supernova: de mauvais présages dans l’esprit du temps, donc à écarter. Plus intéressante est la découverte au XVIIe siècle par le célèbre astronome Kepler d’une conjonction entre Jupiter et Saturne dans la constellation des Poissons, qui se produisit à trois reprises en l’an – 7. Au XVIe siècle, un rabbin portugais, Isaac Abravanel, avait annoncé que le Messie naîtrait lorsqu’une telle conjonction apparaîtrait. En effet, Jupiter était chez les Juifs le symbole de la Royauté, Saturne celui d’Israël, et la constellation des Poissons (autrefois appelée les Queues) celui des Pays de la mer, Palestine et Syrie.

Au début du XXe siècle, l’archéologue allemand Schnabel trouva de nombreuses tablettes cunéiformes sur le site de l’ancienne cité de Sippar en Mésopotamie, à 32 kilomètres au sud de Bagdad, un des observatoires les plus réputés de l’époque. Or, sur l’une d’elles figure une éphéméride confirmant l’apparition de cette conjonction à trois reprises lors de l’année 7 avant notre ère. Grâce aux calculs scientifiques on a pu en déterminer les dates précises. La conjonction fut visible entre le 29 mai et le 8 juin, puis une nouvelle fois entre le 26 septembre et le 3 octobre, une date très importante que ce 3 octobre puisqu’on y célèbre Kippour, la grande fête juive du pardon. Ceci permet de supposer que des mages juifs de la diaspora qui étaient restés à Sippar ont pu avoir le désir, s’appuyant sur la tradition juive de l’étoile du devin Balaam, que cette conjonction annonçait la naissance du Messie. Ils se seraient mis en route à ce moment-là, arrivant à Jérusalem à la fin de novembre ou au début de décembre, à temps pour assister, conformément au texte de Matthieu, à la réapparition de l’étoile entre le 5 et le 15 décembre. Or, à cet instant, l’«astre apparent» était parfaitement visible en direction du sud, suivant exactement la marche des mages qui se rendaient de Jérusalem à Bethléem. Hypothèse assurément, mais suffisamment troublante pour laisser penser que nous ne sommes pas en présence d’une légende.

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